Evangile selon Saint Marc 3,20-35:
Jésus entre dans une maison, où de nouveau la foule se rassemble, si bien qu’il n’était pas possible de manger. Sa famille, l’apprenant, vint pour se saisir de lui, car ils affirmaient: «Il a perdu la tête».
Les scribes, qui étaient descendus de Jérusalem, disaient: «Il est possédé par Béelzéboub; c’est par le chef des démons qu’il expulse les démons». Les appelant près de lui, Jésus disait en parabole: «Comment Satan peut-il expulser Satan? Si un royaume se divise, ce royaume ne peut pas tenir. Si une famille se divise, cette famille ne pourra pas tenir. Si Satan s’est dressé contre lui-même, s’il s’est divisé, il ne peut pas tenir; c’en est fini de lui. Mais personne ne peut entrer dans la maison d’un homme fort et piller ses biens, s’il ne l’a d’abord ligoté. Alors seulement il pillera sa maison. Amen, je vous le dis: Dieu pardonnera tout aux enfants des hommes, tous les péchés et tous les blasphèmes qu’ils auront faits. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’obtiendra jamais le pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours». Jésus parla ainsi parce qu’ils avaient dit: «Il est possédé par un esprit impur».
Alors arrivent sa mère et ses frères. Restant au-dehors, ils le font demander. Beaucoup de gens étaient assis autour de lui; et on lui dit: «Ta mère et tes frères sont là dehors, qui te cherchent». Mais il leur répond: «Qui est ma mère? qui sont mes frères?». Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit: «Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma soeur, ma mère».
Séduction, péché et rédemption
Luis CASASUS, Président des Missionnaires Identès
Rome, 9 juin 2024 | Dixième dimanche du temps ordinaire
Gn 3,9-15 ; 2Cor 4,13-5,1 ; Mc 3,20-35
Une anecdote raconte que le président américain Abraham Lincoln (1809-1865) s’est entretenu avec l’un de ses assistants. Il lui posa la question suivante : Si vous appelez une queue une “patte”, combien de pattes a un cheval ? Son assistant répondit : Cinq. Lincoln lui répond : Non, quatre. Appeler une queue une “patte“ n’en fait pas une patte pour autant.
Dans le récit de l’Évangile d’aujourd’hui, quelque chose de similaire, bien que beaucoup plus extrême, se produit : le bien que fait le Christ, en libérant les gens de l’esclavage du péché, est qualifié de service à satan et de folie.
Quelque chose de semblable arrivera plus tard au diacre Étienne, qui s’est consacré à l’exercice de la charité envers les pauvres et à la transmission de l’Évangile, insistant sur le fait que le Christ n’est pas venu pour supprimer la Loi ou la tradition, dans un discours très clair qu’il conclut ainsi :
Vous qui avez la nuque raide, vous dont le cœur et les oreilles sont fermés à l’Alliance, depuis toujours vous résistez à l’Esprit Saint ; vous êtes bien comme vos pères ! Y a-t-il un prophète que vos pères n’aient pas persécuté ? Ils ont même tué ceux qui annonçaient d’avance la venue du Juste, celui-là que maintenant vous venez de livrer et d’assassiner. Vous qui aviez reçu la loi sur ordre des anges, vous ne l’avez pas observée. »
Il fut aussitôt lapidé, accusé précisément… de blasphème.
Comment pouvons-nous appeler blanc ce qui est noir et beau ce qui est abominable ? Comment pouvons-nous identifier le Christ avec un possédé diabolique ?
La première lecture nous donne une réponse : le péché originel, dont nous avons hérité, nous conduit à considérer la nudité innocente comme honteuse, le fruit défendu comme le plus désirable, le pire des maux comme le meilleur. L’explication la plus exacte du péché, basée sur l’expérience personnelle, se trouve probablement dans la confession d’Ève à Yahvé lorsqu’elle demande pourquoi elle a mangé le fruit défendu : Le serpent m’a séduite et j’ai mangé.
Le mot « séduction » vient du latin seducere ou séduire. De là, on pourrait facilement penser à égarer, une connotation péjorative du mot qui évoque les sirènes, qui attirent les marins sur les rochers, comme dans l’Odyssée d’Homère, où elles tentent d’attirer Ulysse et ses marins vers la mort. Nous pensons, par exemple, à la jeune Salomé, séduisant Hérode par sa danse pour obtenir la tête de saint Jean-Baptiste.
Et il est vrai que nous sommes souvent séduits par quelque chose ou quelqu’un de différent de nous, d’exotique, quelqu’un d’en quelque sorte hors de notre portée, quelqu’un qui semble quelque peu distant et éloigné. La grande beauté, bien sûr, le grand pouvoir ou une certaine forme de richesse nous attirent, et nous souhaitons profiter par procuration de la gloire et de la fortune de quelqu’un d’autre ou l’utiliser d’une manière ou d’une autre pour notre propre promotion. Pour certains, l’intelligence peut également être une grande source d’attraction et de séduction.
C’est pourquoi la tentation d’Adam et Ève par le diable était… parfaite, complète. Non seulement il utilise un objet interdit, mais il promet à ce couple de prendre la place de Dieu : Ils seront égaux à Lui, ils connaîtront le bien et le mal (Gn 3, 5).
Ce qui était désobéissance à celui qui nous aime, apparaît comme un triomphe. Ainsi, ce qui est péché est interprété comme une libération, voire comme un acte de miséricorde. C’est la manipulation bien connue du langage pour soutenir que l’avortement est un « droit à la reproduction » ou un « acte de miséricorde » envers les femmes, ou que les pratiques homosexuelles ou l’adultère sont simplement des « styles de vie alternatifs ».
Adam considérait déjà Dieu comme un ennemi, alors il s’est caché. Pour que Dieu ne s’oppose pas à ses choix maladroits de liberté.
Ce qui est arrivé à Adam est la même chose que ce qui nous arrive aujourd’hui : au lieu d’avouer sa faute, il accuse Ève. Au lieu de demander pardon, il vit dans un remords mal dissimulé. De cette manière, il ne peut y avoir ni pardon ni réconciliation. Et, n’oublions pas : il blasphème en disant que Dieu a eu tort de lui donner la femme comme compagne.
Si nous nous demandons ce qui est le plus séduisant chez l’autre, ce n’est pas toujours qu’il nous repousse ou nous égare, mais plutôt le contraire : quelqu’un qui nous amène à mieux nous comprendre, à nous dire qui nous sommes vraiment, quelqu’un qui semble nous comprendre et reconnaître notre singularité et ce que nous avons à offrir au monde, quelqu’un qui nous encourage dans nos démarches. La séduction réside souvent dans l’intérêt que quelqu’un nous porte, un intérêt apparemment sincère, la compréhension que quelqu’un a de nos rêves et de nos désirs.
Je me souviens d’une maman racontant la question déchirante que sa fille sourde lui a posée un jour. Elle l’a regardée avec ses grands yeux et lui a demandé, comme si elle devait connaître la réponse : Qu’est-ce qui fait que quelqu’un est admiré ? Qu’est-ce que je dois faire pour être aimée par les autres enfants ?
Cette maman savait que les enfants de l’école la méprisaient souvent. Elle était différente, elle ne comprenait pas toujours ce qu’ils disaient ou ce que disait la maîtresse. Ils ne l’invitaient pas à leurs fêtes, et parfois les autres enfants lui passaient des petits mots disant : Tu es bête ! La mère reprend son souffle, réfléchit un instant et dit : Pose-leur des questions sur eux-mêmes. Intéresse-toi à eux, aide-les si tu le peux. Des conseils difficiles à comprendre pour une enfant de neuf ans. Pourtant, elle les a intégrés, et, contre toute attente, elle est devenue une excellente auditrice, même si elle devait lire sur les lèvres… ou peut-être parce qu’elle exerçait cet intérêt pour les autres.
C’est peut-être là l’élément le plus important d’une personne positive et évangéliquement séduisante, d’une personne que l’on peut appeler un apôtre : la capacité de nous faire sentir spéciaux et, en fin de compte, heureux. Quelqu’un qui ne se vante pas de ses réussites, qui ne veut pas être admiré, mais qui écoute modestement celles des autres. Quelqu’un qui est capable d’écouter vraiment ce que nous avons à dire et qui semble comprendre ; qui rit de nos blagues, qui vient partager une partie importante de sa vie avec nous, quelqu’un qui est prêt à offrir son temps pour nous faire sentir aimés, même s’il n’a pas la solution à tous nos problèmes.
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Le Christ mentionne le terrible péché contre l’Esprit Saint, dont il dit qu’il est passible d’une peine éternelle. Ce n’est pas que la miséricorde de Dieu soit limitée, mais il suggère la possibilité que nous refusions la grâce et le pardon divins.
Il peut être utile de rappeler la doctrine traditionnelle des six types de péchés contre l’Esprit Saint, qui peuvent être identifiés dans le Nouveau Testament :
(1) Le désespoir, qui consiste à perdre l’espoir en notre salut (à quoi bon me repentir, si c’est pour recommencer…).
(2) La présomption, qui consiste à considérer la miséricorde de Dieu comme acquise et à croire à tort que nous n’aurons à rendre compte de nos péchés ni maintenant, ni à la fin de notre vie.
(3) L’impénitence ou la ferme détermination à ne pas se repentir ; généralement en justifiant ou en minimisant mes fautes.
(4) L’obstination, qui consiste à ne pas avoir l’humilité d’admettre que j’ai péché et que je persiste dans ce péché ; c’est une forme de manipulation de la vérité… comme quelqu’un qui n’accepte pas la correction, l’avertissement des autres, le conseil, l’opinion des autres. C’est une conséquence de l’attachement chronique à des jugements ou à des désirs. C’est ce qui cause la douleur de saint Paul dans la deuxième lecture. Il voyait déjà que ses forces déclinaient et que tous ses efforts à Corinthe n’étaient pas toujours appréciés et utilisés à bon escient, et que ses enfants spirituels fixaient leurs yeux sur les choses visibles plutôt que sur la vérité qu’ils avaient reçue.
(5) Résister à la vérité divine reconnue comme telle (je ne vais pas m’arrêter maintenant pour réfléchir si quelque chose s’oppose à Dieu, si elle a des conséquences…). Attention, car ce péché naît d’un endurcissement qui rend insensible.
(6) Envier le bien-être spirituel des autres. C’est le péché de Satan, d’Adam et des scribes dans le passage de l’Évangile d’aujourd’hui.
À la réflexion, nous devons reconnaître que ces fautes ne sont pas rares, ni étrangères à ta vie ni à la mienne. La racine de ces péchés peut être décrite comme un mauvais usage de la liberté, provoqué par l’orgueil. Dans la deuxième lecture, saint Paul, qui connaissait bien le métier de fabricant de tentes, dit aux Corinthiens : Nous savons, en effet, que si cette tente, qui est notre demeure terrestre, s’écroule, nous avons un édifice qui appartient à Dieu, une demeure éternelle, qui n’a pas été faite de main d’homme, et qui est dans les cieux.
Le récit du péché originel illustre également le fait que tout péché, toute infidélité, a un effet sur le prochain. Dans ce cas, c’est Ève qui entraîne Adam dans la désobéissance. Beaucoup d’entre nous n’acceptent pas cette réalité, imaginant qu’il existe des « péchés cachés », qui n’ont pas de conséquences sur les autres. Cette attitude est probablement encore plus dangereuse aujourd’hui, car nous sommes imprégnés d’une conception théorique, mais surtout de fait, de l’autonomie individualiste de la personne.
Prenons un exemple fréquent : les pensées contre la chasteté. Inutile de parler d’actions dont les effets sont immédiatement dévastateurs, soit sur le prochain, soit sur sa propre capacité à vivre une paternité ou une maternité complète.
Bien qu’il ait presque toujours une connotation négative, n’ayons pas peur du mot séduction, car il apparaît déjà dans l’Ancien Testament pour expliquer la manière dont Dieu nous attire : Tu m’as séduit, Seigneur, et je me suis laissé séduire ; tu as été plus fort que moi, et tu m’as vaincu (Jr 20, 7).
Les lectures d’aujourd’hui nous invitent à regarder la réalité du péché en face. Le Christ nous montre vraiment qui nous sommes et comment nous sommes, sans dissimuler nos défauts ou nos capacités inexploitées, en précisant le type d’unité qu’il a avec nous : Quiconque fait la volonté de Dieu est mon frère, ma sœur et ma mère. Je dirais même que c’est une forme de séduction par laquelle nous attirons Dieu le Père, qui a pitié de notre fragilité, comme la poule qui rassemble ses poussins sous ses ailes(Lc 13, 34).
Oui, nous sommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu pour progresser dans l’intimité avec lui. Comme le montre la première lecture, il a toujours aspiré à marcher avec nous au Paradis. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, nous voyons comment le Christ nous aide à progresser dans cette union, non pas avec des rites magiques ou des gestes ésotériques, comme l’ont fait certains « guérisseurs » de son temps ou certains séducteurs d’aujourd’hui. Pour nous racheter, pour nous libérer désormais, il nous propose simplement d’avoir foi en sa Parole.
Qui me délivrera de l’esclavage imposé par le serpent ? demande Paul (Rm 7,24). La réponse se trouve dans l’Évangile d’aujourd’hui, mais elle était déjà annoncée dans le passage de la Genèse : l’un des descendants de la femme l’emportera sur le serpent et lui écrasera la tête.
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Dans les Cœurs Sacrés de Jésus, Marie et Joseph,
Luis CASASUS
Président