Evangile selon Saint Jean 17,11b-19:
Père saint, garde-les unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes. Quand j’étais avec eux, je les gardais unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Écriture soit accomplie.
Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, dans le monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. Moi, je leur ai donné ta parole, et le monde les a pris en haine parce qu’ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi je n’appartiens pas au monde. Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais. Ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi, je n’appartiens pas au monde. Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité.».
Confirmer la Parole par des signes
Luis CASASUS Président des Missionnaires Identès
Rome, 12 Mai 2024 | Ascension du Seigneur
Actes 1,1-11; Eph 1, 17-23; Mc 16,15-20
Né à Éphèse, le philosophe grec Héraclite affirmait, six siècles avant Jésus-Christ, que le fondement de toute chose réside dans le changement incessant et permanent. Il le reflétait dans ses phrases, en précisant que pour lui, l’essentiel était d’être conscient que la nature changeait, qu’elle n’était jamais la même. Il en va de même pour l’être humain. Nous sommes soumis, insistait-il, à des changements physiques, mentaux et spirituels continus. Je ne suis pas le même qu’hier. C’est une intuition brillante, qu’il a élevée au rang d’absolu, c’est pourquoi il a dit que le feu représente bien le changement et le mouvement constants dans le cosmos et dans l’être humain.
Sainte Catherine de Sienne a écrit un jour : « Si nous sommes ce que nous devons être, nous mettrons le feu au monde entier ». Des mots porteurs d’un sens profond et dont les échos résonnent aujourd’hui plus que jamais.
Comme certains le disent, vivre c’est changer et, pour mieux le comprendre, nous sommes invités à contempler les saisons de l’année et le passage du temps dans notre existence. Des événements inattendus, des événements très douloureux comme la mort d’un proche ou une séparation, l’arrivée d’une nouvelle responsabilité ou la fin d’une étape, la santé qui se dégrade… tout cela peut nous aider à mettre notre confiance en Dieu, si nous ne laissons pas la douleur, la tristesse et l’incompréhension s’emparer de nous.
Il est vrai que, parfois, nous nous sentons comme dans la première lecture à propos des disciples de Jésus : Galiléens, que faites-vous là à regarder le ciel ? Nous ne pouvons pas comprendre, nous ne pouvons pas nous expliquer comment Dieu semble impassible, étranger à nos préoccupations, n’agissant pas pour nous sortir de notre perplexité et de notre impuissance.
Mais aujourd’hui, dans la deuxième lecture, nous entendons quelque chose qui nous donne le vrai sens des changements dans notre vie : comme cela est arrivé au Christ, tout est orienté vers la richesse de la gloire qu’il donne en héritage aux saints. Ce n’est pas seulement la fin du voyage, mais le voyage lui-même qui est important. Si nous adhérons aux projets de notre Père céleste, une gloire nous attend, que nous pouvons parfois goûter, anticiper ; nous avons besoin de cette confirmation, au milieu de notre myopie et de nos hésitations.
La demeure qui nous attend dépend de notre degré de fidélité, mais saint Luc nous rappelle les paroles du Maître :
Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les dates que le Père a fixés de son autorité. Quand l’Esprit Saint descendra sur vous, vous recevrez le pouvoir d’être mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre.
Cela s’est produit immédiatement et nous voyons déjà le diacre Philippe franchir la première barrière culturelle, sociale et religieuse, en commençant à évangéliser les Samaritains.
Le Christ n’a pas parlé sans expérience personnelle. Dans ce monde, il est passé par des étapes et des changements radicaux :
Vie familiale → Vie publique → Passion → Mort → Résurrection → Ascension.
Nous ne suivons pas un chemin très différent, mais nous devons aider chacun à comprendre que la douleur, le sacrifice, le doute, ne sont pas dénués de sens ni stériles. C’est ce que l’apôtre fait sans relâche, en témoignant, précisément en rencontrant des démons, des serpents et des langues inconnues, comme nous le rappelle aujourd’hui le texte de l’Évangile : Sommes-nous, vous et moi si bornés, en pensant qu’il s’agit d’une exagération, d’une métaphore lumineuse ou d’une chose du passé ?
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Après avoir reçu le Saint-Esprit, le Christ ne dit pas que les disciples « doivent être témoins », mais il affirme qu’ils le seront. Il s’agit là d’une véritable prophétie, et il ne s’est certainement pas trompé. Après avoir regardé le ciel avec étonnement, les disciples se sont mis en route. Il en va de même pour nous, nous avons du mal à croire que la mission ne peut pas attendre, que le cœur de chaque être humain a soif, une soif bien plus forte que toute forme d’incrédulité, de médiocrité ou de malveillance.
Saint Jean-Paul II, alors qu’il était encore l’archevêque Wojtyła, a profondément médité sur ce que signifie être témoin, allant au-delà de l’idée qu’il faut s’engager dans de nombreuses activités, étudier ou voyager beaucoup.
֍ Tout d’abord, saint Jean-Paul II nous dit qu’être témoin signifie être en union avec le Christ. Saint Jean-Paul II explique que témoigner, rendre témoignage du Christ, signifie « s’unir au Christ pour “voir le Père” (cf. Jn 14, 9) en Lui et par Lui ».
Il est intéressant de noter que le premier aspect du témoignage n’est pas immédiatement associé à l’œuvre d’évangélisation, qui consiste à partager l’Évangile avec les autres, mais à voir le Père en s’unissant au Christ, en Lui et par Lui. Comment pourrions-nous témoigner de l’amour de Dieu aux autres si nous ne sommes pas capables de les voir à travers les yeux du Christ ? Souvenons-nous du premier appel des disciples. Ils ont été appelés à être avec le Maître avant d’être envoyés pour être pêcheurs d’hommes. La relation avec le Christ précède toujours la mission. Si ce n’est pas le cas, nos filets resteront vides et tous nos efforts seront vains.
Pour une raison ou une autre, tous les fondateurs, qu’il s’agisse d’instituts, d’ordres ou de congrégations se consacrant à une activité quelconque, ont posé comme condition, comme point de départ, le regard priant sur le Christ et la communion entre les membres de leur famille religieuse. Dans le cas de notre père Fondateur, Fernando Rielo, il l’a exprimé de manière très explicite et littérale, en disant que « idente » signifie marcher en s’identifiant à la personne du Christ.
֍ Ensuite, saint Jean-Paul II enseigne que, pour être témoin, il faut être capable de « lire dans le Christ le mystère de l’homme ». Le Christ est l’homme parfait et, si nous voulons être humains, nous devons lui ressembler. Le témoignage n’est pas le produit d’un discours habile et éloquent. Ces éléments sont utiles, mais ils ne sont pas les plus importants. Pour être efficace et convaincant, le messager doit devenir le message.
Témoigner, c’est finalement imiter. Dans un monde qui glorifie l’innovation et l’originalité, l’appel chrétien à témoigner va à contre-courant. Si nous devons être des témoins, nous sommes appelés à imiter et non à adorer le mot le plus séduisant d’aujourd’hui : « innover ». En fin de compte, nous devons imiter le Christ dans tous les aspects de sa vie, de sa parole, de son action, de ses priorités et intentions. Si les gens sont attirés par nos communautés, cela doit être parce qu’ils sont attirés par le Christ, nous ne pouvons nous en attribuer aucunement le mérite. En fait, le culte de la personnalité, qui met l’accent sur la personnalité charismatique et unique du prédicateur ou du curé, nuit au message chrétien. Être comme le Christ, c’est mourir à soi-même.
Paradoxalement, plus nous imitons le Christ, plus notre identité unique et inimitable est révélée.
On raconte l’histoire d’un lionceau de quelques semaines qui s’était perdu. Il se joignit à un troupeau de moutons et se considéra bientôt comme un agneau comme les autres, essayant de bêler et de manger de l’herbe comme les autres. Un jour, un rugissement retentit dans la forêt et les moutons s’enfuirent à l’approche du lion. Mais le petit lion n’avait pas peur.
Le lion, qui était son père, le prit par le cou, lui fit voir son reflet dans une mare d’eau et lui dit : « Maintenant, vois-tu qui tu es et à qui tu appartiens ? »
Dans l’Ascension, le Christ nous donne une preuve visible de qui Il est et de qui nous sommes en nous laissant comme témoins, malgré notre médiocrité manifeste.
֍ Enfin, Jean-Paul II insiste sur la dimension sacramentelle du témoignage. Il écrit : C’est la dimension sacramentelle par laquelle le Christ lui-même agit dans un être humain qui s’ouvre à son action dans la puissance de l’Esprit de Vérité. Pour que notre témoignage porte du fruit, il ne s’agit pas seulement de nous unir au Christ ou de l’imiter. Le témoignage n’est pas seulement un effort humain. C’est toujours l’initiative de Dieu. C’est le laisser agir par nous et en nous, et c’est pourquoi il a laissé à l’Église les sacrements, canaux efficaces de la grâce sanctifiante. Notre travail d’évangélisation ne peut porter des fruits, des fruits durables, que s’il puise sa force à la source de la grâce, qui est mise à notre disposition par les sacrements.
Les Actes des Apôtres, qui sont lus tout au long de la période de Pâques, illustrent bien les points évoqués ci-dessus par saint Jean-Paul II. Nous voyons le ministère public des apôtres s’épanouir précisément parce qu’ils étaient en totale communion avec le Christ dans son ministère, sa prédication et même ses souffrances. Les apôtres étaient des copies du Christ, témoignant par imitation, attirant les autres au Christ plutôt qu’à eux-mêmes. Enfin, nous voyons les premières communautés missionnaires, qui étaient des communautés de prière, des communautés d’adoration, des communautés construites sur le fondement solide des sacrements, en particulier de l’Eucharistie. Elles avaient compris que sans les sacrements et une vie de prière active, leur travail d’évangélisation échouerait. En effet, le culte était la principale source d’évangélisation, attirant tant de personnes à embrasser et à célébrer le mystère du Christ.
Nous parlons souvent du Carême comme d’une période de pénitence, un moment propice au repentir. Mais le repentir n’est pas quelque chose que nous faisons seulement pendant le carême. Il s’étend jusqu’à Pâques et au-delà, à toutes les saisons et au cycle de la vie. Car l’évangile du repentir ne consiste pas à pointer du doigt les péchés des autres. Notre repentir est aussi une invitation à conformer notre vie au Christ et à être des témoins de ce repentir en nous soumettant à lui quotidiennement, afin que l’amour de Dieu atteigne sa perfection en nous.
Sainte Thérèse d’Avila disait : « Le Christ n’a plus sur terre d’autre corps que le tien, d’autres mains que les tiennes, d’autres pieds que les tiens. C’est avec tes pieds qu’il doit faire le bien et c’est avec tes mains qu’il doit maintenant nous bénir. Jouer au football, s’occuper des malades, donner à manger au bébé, être professeur de la Jeunesse Idente, ou s’occuper des petits-enfants… tout cela peut témoigner de Jésus à travers notre attitude. Le Christ continue d’agir avec nous, à travers les signes qui accompagnent notre travail, comme l’écrit Marc.
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Dans les Cœurs Sacrés de Jésus, Marie et Joseph,
Luis CASASUS
Président