Evangile selon Saint Jean 15,1-81:
«Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève; tout sarment qui donne du fruit, il le nettoie, pour qu’il en donne davantage. Mais vous, déjà vous voici nets et purifiés grâce à la parole que je vous ai dite: Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut pas porter du fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi.
»Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est comme un sarment qu’on a jeté dehors, et qui se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent. Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et vous l’obtiendrez. Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous donniez beaucoup de fruit: ainsi, vous serez pour moi des disciples».
Chant d’amour pour la vigne (Isaïe 5)
Luis CASASUS Président des Missionnaires Identès
Rome, 28 avril 2024 | 5ème dimanche de Pâques
Actes 9 : 26-31 ; 1Jn 3 : 18-24 ; Jn 15 : 1-8
La métaphore de la vigne et des sarments est simple et extraordinairement significative, c’est pourquoi le Christ la reprend fidèlement de l’Ancien Testament et lui donne une pleine signification, inspirante pour tout être humain. Le prophète Isaïe le dit déjà :
La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël ; Le plant qu’il chérissait, ce sont les hommes de Juda (Is 5,7).
Dans ce que nous entendons de Jésus aujourd’hui, nous pouvons discerner au moins trois enseignements sur notre nature :
* Il est possible et fréquent que le fait d’aimer les autres, ceux qui ne nous comprennent pas ou ne nous estiment pas, soit douloureux. Mais l’image de la vigne nous dit que c’est aussi naturel, que nous sommes faits pour aimer notre prochain, même si c’est parfois difficile. Comme l’a écrit le poète irlandais William B. Yeats (1865-1939) : Si ce que je dis résonne en vous, c’est simplement parce que nous sommes les branches d’un même arbre. En ce moment de notre histoire, où nous idolâtrons l’individualisme, le fait de montrer que nous sommes différents, et même les manières individualistes de vivre une soi-disant vie spirituelle, nous devons nous rappeler que nous sommes les branches d’une même vigne, que personne ne peut être un étranger dans ma vie.
Le fondement d’une charité authentique n’est pas le partage d’idées, de rêves ou de valeurs (ce qui n’est pas négligeable !) mais la conscience que nous recevons la même sève, le même sang spirituel: les voix des personnes divines qui murmurent et que nous devons apprendre à écouter avec toutes leurs nuances, avec toutes leurs tonalités, avec des suggestions toujours nouvelles.
* Celui qui demeure en moi et moi en lui, celui-ci porte beaucoup de fruits. Le Christ nous enseigne que nous sommes déjà unis à Lui. Les chrétiens savent que les Personnes divines sont réellement en nous. Comme le disent les théologiens, elles habitent en nous, nous sommes leur demeure. C’est pourquoi nous pouvons porter du fruit. C’est pourquoi il y a des gens qui ne sont pas baptisés, qui ne connaissent rien de l’Évangile, mais qui vivent une vertu et une miséricorde admirables. N’oublions pas l’étonnement du Christ devant la Cananéenne (Mt 15,28) et devant le centurion de Capharnaüm. Il déclare avec admiration : Jamais je n’ai pas trouvé en Israël une telle foi (Mt 8,10).
Si nous étions attentifs à l’inquiétude la plus profonde de chaque être humain, à ce que notre Père Fondateur appelle son Aspiration, il nous arriverait ce qui est arrivé au diacre Philippe (Ac 8,26-38), qui, inspiré par l’Esprit Saint, s’est approché du fonctionnaire de la reine des Éthiopiens, précisément au moment où ce dernier s’interrogeait sur le sens des paroles d’Isaïe. Son acte apostolique a permis la conversion immédiate de l’étranger.
Je me souviens toujours d’un ami de ma famille qui n’allait jamais à l’église. Il ne disait aucun mal ni ne se moquait des gens qui priaient et allaient à la messe, mais il passait le peu de temps qu’il avait à écouter de la musique. Il était mécanicien de train et travaillait aussi comme gardien le soir. Il était resté veuf très jeune et n’avait pas d’enfants. Les gens lui demandaient pourquoi il travaillait si dur, s’il n’avait pas de famille à nourrir. Il répondait en souriant qu’il aimait être actif, qu’il préférait cela à rester chez lui à écouter la musique qu’il aimait tant.
Ce n’est qu’à sa mort que nous avons tous appris qu’il envoyait presque tout l’argent qu’il gagnait à deux tantes de sa femme – elles vivaient dans des villes différentes dans des conditions financières difficiles –, en ne dépensant que le strict nécessaire pour se vêtir et se nourrir, avec une réelle austérité.
Comment nous qui l’avons connu pourrions-nous oublier son exemple ? Comment aurait-il pu imaginer que sa vie nous rapprocherait d’un Dieu qu’il prétendait ne pas connaître ?
* De même que le sarment ne peut porter du fruit par lui-même s’il ne demeure pas dans la vigne, de même vous ne le pouvez pas si vous ne demeurez pas en moi. Ce n’est pas une menace. C’est une réalité, un fait que nous pouvons voir dans la vie de beaucoup de gens, dans la vôtre et la mienne.
Les personnes auxquelles nous attribuons des actions exemplaires, comme celles qui n’ont rien fait de spectaculaire, ont l’impression à la fin de leur vie qu’elles auraient pu faire quelque chose de plus, quelque chose de mieux. Pour certains, la vie passe trop vite, pour d’autres elle passe trop lentement, mais toujours, aussi passionnante ou intense qu’elle ait été, elle laisse un goût de quelque chose de minuscule, d’incomplet, de fatigant et d’éphémère. Vanité des vanités, tout est vanité. À quoi sert à l’homme tout le travail qu’il accomplit sous le soleil ? (Ecclésiaste 1,3).
Si ce que nous faisons dans notre vie n’est pas inspiré ni éclairé par Dieu, cela nous laisse insatisfaits, que nous fassions quelque chose de moralement répréhensible ou d’excellent. Tout est la conséquence de nos désirs – bons ou mauvais, mais aveugles – ou des normes que la société nous impose. Cela me rappelle le bref récit de H. G. Wells (1866-1946) intitulée The Wonderful Suit :
La mère d’un jeune garçon lui confectionne un magnifique costume vert et or d’une délicatesse et d’une finesse indescriptibles. Les boutons brillent comme des étoiles et il est tellement fasciné par son nouveau costume qu’il veut le porter partout. Mais sa mère lui dit de prendre grand soin de son nouveau costume et de ne le porter que dans les « grandes occasions », car il n’en aura jamais d’autre comme celui-ci. Elle l’autorise cependant parfois à le porter à l’église le dimanche, mais seulement après avoir protégé les parties les plus sujettes à l’usure, comme les poignets et les coudes, et enveloppé les boutons dans du papier de soie.
Par une nuit étrange et particulière, le jeune homme se réveille et voit un clair de lune briller à la fenêtre de sa chambre, mais pas un clair de lune ordinaire. Il décide que le moment est venu d’enfiler son costume correctement, sans aucune de ses protections. Après avoir revêtu son beau costume, il sort par la fenêtre pour se rendre dans le jardin en contrebas. Le clair de lune est vraiment spécial et l’obscurité de la nuit est remplacée par des ombres chaudes et mystérieuses. Il se fraye un chemin à travers la haie du jardin, ignorant les épines et les ronces, et se dirige vers la mare aux canards, qui lui semble être un grand bol de clair de lune argenté. Après avoir pataugé dans l’étang, il arrive à un endroit où il rencontre un papillon de nuit vaporeux (symbole de la mort), qui s’approche jusqu’à ce que ses ailes de velours frôlent ses lèvres.
Le lendemain matin, le jeune garçon est retrouvé mort au fond du puits de pierre, son beau costume d’autrefois ensanglanté, mais l’expression de son visage est celle d’un bonheur serein.
Ce n’est pas un hasard si, dans la première et la deuxième lecture, Paul et Jean montrent la liberté et la joie avec lesquelles ils se meuvent lorsqu’ils sont conscients de faire quelque chose au nom de Dieu, en dépit de l’incompréhension et de la persécution. Nous pouvons dire avec certitude que nous faisons quelque chose « au nom du Seigneur » lorsque nous ne prononçons pas un mot ou n’avons pas une pensée contre notre prochain.
Lorsque quelqu’un se détourne de la vigne, il cesse de porter du fruit et, bien qu’il soit fébrilement actif et semble déterminé à aider son prochain, son intention est en réalité égoïste et vaine. Il est facile de s’en rendre compte, par exemple, en contemplant comment notre ego est satisfait en corrigeant les erreurs des autres. Nous ne le faisons pas par miséricorde, mais pour montrer notre supériorité.
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Le Christ parle clairement de la manière dont son Père, et notre Père, le propriétaire de la vigne, nous purifie. Là encore, l’image de la taille est expressive et précise : grandir, changer et accepter la correction est toujours douloureux. Même l’acceptation d’une simple observation qui nous contredit produit une douleur plus ou moins intense. La preuve en est que la plupart d’entre nous trouvent des excuses et donnent des justifications de toutes sortes dans des affaires mineures ou majeures :
– Désolé de ne pas avoir répondu à votre courriel plus tôt, car ma tante m’a rendu visite ces jours-ci.
– Mon Dieu, je sais que je ne devrais pas perdre mon temps sur Internet. Dieu merci, ce n’est pas une dépendance pour moi, comme c’est le cas pour mes jeunes frères et sœurs.
– L’autre jour, on m’a reproché d’avoir cassé une assiette, comme si c’était le signe que j’étais négligent. Ce mois-ci, cela s’est produit moins de quinze fois et toujours parce que d’autres personnes m’ont distrait pendant que je faisais la vaisselle.
– Je n’ai pas signalé cette affaire pour ne pas te faire perdre un temps précieux.
L’affirmation la plus importante que Jésus fait aujourd’hui sur lui-même est le début du texte de l’Évangile : Je suis la vraie vigne. Rappelons-nous que dans l’Ancien Testament, la vigne est le peuple d’Israël qui, malgré de nombreuses infidélités et faiblesses, a donné des fruits en abondance, grâce au pardon et à la miséricorde du vigneron. Aujourd’hui, le Christ prend personnellement la place du peuple élu. Les branches vertes et les branches faibles sont unies à Lui, mais grâce à l’Esprit Saint et aux vrais apôtres, il y a toujours une possibilité de porter du fruit.
C’est pourquoi ceux qui sont découragés ou irrités par la médiocrité des membres de leur communauté ou de l’Église ne savent pas que le témoignage le plus précieux, le fruit le plus authentique, c’est de préserver l’unité, comme le répète le Christ. Il y a certes d’autres fruits, comme celui de l’efficacité, celui de réussir à « faire venir beaucoup de gens », de transmettre la Parole de manière originale et claire.
Mais si nous oublions que le signe de l’authentique sarment est l’unité avec la vigne et donc avec les autres sarments, nous serons tombés dans un manque de foi en celui qui s’est approché des lépreux, qui a été l’ami des publicains et des pécheurs, qui a reconnu que tous les membres de la communauté ne sont pas purs (Jn 13,11) et qui, pourtant, n’a expulsé personne.
Se détourner de la communauté, ou d’une personne parce qu’elle parle mal de moi, refuser de faire quelque chose en commun, parce que je ne vois dans les autres que leur nécessité d’être émondés, c’est manquer de confiance en celui qui dit être la vigne, en celui qui accueille les sarments avec espérance parce qu’il les nourrit et les purifie grâce à la Parole qu’Il nous dit, même s’ils ne sont pas innocents, comme vous et moi.
La première lecture est un exemple émouvant et extrême de la manière dont la Providence, dans ce cas par l’intermédiaire de Barnabé, maintient Paul dans l’Église, alors que personne ne lui faisait confiance.
Est-ce que je me crois meilleur que l’Esprit Saint pour juger que certains n’ont pas leur place dans la mission ? Est-ce que je supplie le Christ de savoir quel fruit peut porter la personne difficile ou peu réceptive qui se trouve à côté de moi ?
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Dans les Cœurs Sacrés de Jésus, Marie et Joseph,
Luis CASASUS, Président